ACIER (ÉCONOMIE DE L’)

ACIER (ÉCONOMIE DE L’)
ACIER (ÉCONOMIE DE L’)

La production industrielle d’acier n’a débuté qu’au milieu du XIXe siècle. Auparavant, la sidérurgie se limitait – en Europe uniquement – à des productions mineures de fonte au bois et de fer puddlé. Il a fallu attendre, après l’invention de la fonte au coke par Darby au XVIIIe siècle, les grandes inventions en aciérie du XIXe siècle – fours Bessemer, Thomas et Martin – pour que devînt significatif le développement d’une production d’acier; encore la production mondiale était-elle bien modeste en 1870, limitée à 10 millions de tonnes, et cantonnée en Europe, surtout en Grande-Bretagne, qui était alors le premier producteur d’acier dans le monde avec près de 4 millions de tonnes.

1. L’essor de la production

En partant de cette base modeste, la sidérurgie a réalisé en un siècle, au rythme annuel moyen de 5 à 6 p. 100, une progression remarquable; elle a multiplié par 70 son tonnage de brut: 23 millions de tonnes en 1894, 83 en 1913, 115 en 1929, 192 en 1950, 591 en 1970, 745 en 1979, 863 en 1989. Quelles sont les raisons d’un tel essor? Quels sont les caractères généraux actuels de la production?

Les raisons de l’essor

Des données d’ordre général, économiques, sociales et, à certaines périodes, politico-militaires, rendent compte d’un siècle de progression. La production d’acier est nécessaire à toutes sortes d’industries d’équipement qui alimentent elles-mêmes toutes les industries, y compris l’extraction minière (matériel minier), l’agriculture (machinisme agricole), les moyens de transport et, d’une manière plus générale, tout le développement économique, ainsi qu’à de nombreuses industries de biens de consommation durables, à commencer par l’une des principales clientes de la sidérurgie, la construction automobile. Trois groupes de faits ont, depuis plus d’un siècle, considérablement augmenté l’appel de la demande d’acier.

Le premier est la forte poussée démographique qui, en portant la population mondiale à plus de 5 milliards d’hommes en 1990, a multiplié le nombre des «consommateurs d’acier». Deuxième fait, l’élévation du niveau de vie se traduit par une augmentation continue de la consommation par habitant: celle-ci atteint des niveaux dépassant 400 kilos par an dans tous les pays industriels, avec des valeurs de pointe de 600 à 700 kilos dans les pays les plus développés économiquement comme la Suède, l’Allemagne, les États-Unis, le Canada, le Japon. Par rapport à 1938, la consommation d’acier par habitant a quadruplé pour l’ex-U.R.S.S., elle a été multipliée par huit au Japon et en Italie, par plus de trois en Allemagne; elle a plus que doublé en Australie et doublé aux États-Unis. Avec un certain retard et une ampleur bien inférieure des quantités effectivement utilisées, l’évolution a atteint les pays sous-développés après la Seconde Guerre mondiale. La consommation unitaire d’acier a, en trente ans, presque triplé de 1950 à 1980 dans ces pays; elle a même quadruplé dans les pays en voie de développement d’Extrême-Orient.

À certaines périodes enfin, notamment dans les années précédant les grands conflits, et durant les deux guerres mondiales, la demande d’acier a été fortement stimulée par les besoins d’armement et ceux des industries d’armement. Certes, par leurs destructions, les guerres ont atteint le potentiel sidérurgique de plusieurs pays: en 1946, la production allemande d’acier était réduite à 3 millions de tonnes contre 23 millions en 1939, celle du Japon s’était affaissée à 572 000 tonnes contre 6 700 000 tonnes en 1939. Mais, sur le plan mondial, les deux guerres se sont néanmoins soldées par un accroissement rapide des capacités de production de l’acier. En effet, d’une part la Seconde Guerre mondiale a conduit les États-Unis à doubler leur potentiel sidérurgique et à augmenter de 52 p. 100 leur production d’acier (72 millions de tonnes en 1946), d’autre part, certains pays du Commonwealth (Canada, Inde, Australie, Afrique du Sud) ont dû, pour participer activement à l’effort de guerre des Alliés et alimenter leurs industries d’armement nouvelles en produits sidérurgiques, donner une impulsion forte à des industries sidérurgiques dont la production en 1939 était mineure.

La troisième conséquence des guerres est d’avoir suscité la création de sidérurgies nouvelles ou un essor de petites sidérurgies déjà existantes dans des pays non belligérants qui dépendaient pour leur approvisionnement sidérurgique des importations en provenance d’États impliqués dans la guerre et utilisant pour leurs besoins militaires leurs productions nationales. Privés d’acier et incapables d’alimenter leurs usines, ces pays durent, en pleine guerre, décider la création d’usines sidérurgiques, généralement mises en service après la guerre, maintenues et agrandies depuis lors. Ainsi procédèrent les Pays-Bas, du fait de la Première Guerre mondiale (Hoogovens à Velzen), et, pendant la Seconde Guerre mondiale, certains pays d’Amérique du Sud, le Brésil notamment avec l’usine de Volta Redonda.

Un deuxième groupe de raisons s’est ajouté à l’appel d’une demande croissante d’acier: la possibilité physique pour l’industrie sidérurgique de satisfaire cette demande. L’écueil pouvait être l’épuisement rapide des gisements traditionnels de minerai de fer du fait même de la croissance des besoins et de l’extraction, en Europe et aux États-Unis en particulier, deux des grandes zones sidérurgiques du monde. Cette difficulté a été surmontée par deux séries de facteurs. D’abord de nombreuses et, dans certains cas, considérables découvertes et mises en production de nouveaux gisements de fer: le bond remarquable de la sidérurgie soviétique n’aurait pas été possible sans le doublement, en quinze ans, de l’extraction de minerai grâce à la mise en service du gisement de Koursk, ni la progression japonaise, sans les découvertes d’Australie, dont l’extraction a pu tripler en dix ans jusqu’à devenir un moment la deuxième du monde.

Les découvertes récentes ont concerné surtout des minerais à haute teneur, plus économiques à traiter que les minerais à basse ou à moyenne teneur, utilisés naguère par de nombreuses sidérurgies. Enfin, extraits de nouveaux pays producteurs d’outre-mer, ces minerais riches n’ont pas imposé de surcoût du fait de leur éloignement des grands centres sidérurgiques mondiaux, car la révolution du transport maritime, avec les minéraliers de fort tonnage et l’équipement de ports en eau profonde ont permis à ces nouveaux minerais de bénéficier, en dépit de longs trajets maritimes, de taux de fret bas, qui ont conduit au développement des sidérurgies littorales sur les ports d’importation.

Enfin, les innovations techniques de ce secteur, particulièrement le développement de l’aciérie à l’oxygène, ont permis à la sidérurgie d’élargir sa clientèle, de trouver des débouchés nouveaux grâce à l’obtention de nuances d’acier de plus en plus précises et élaborées, d’une qualité plus élevée, répondant mieux aux exigences croissantes des industries utilisatrices. En améliorant beaucoup la productivité, la coulée continue et le laminage continu ont, par ailleurs, contribué à freiner la hausse des prix de revient, malgré l’augmentation du prix des postes de fabrication.

Les politiques d’expansion sidérurgique

Dans de nombreux pays, ces politiques constituèrent le troisième facteur essentiel de l’expansion, qu’elles incombent à la profession, en économie totalement libérale, qu’elles soient inspirées et aidées par l’État, en économie semi-libérale, ou qu’elles aient été fixées par l’État, en économie socialiste avec planification impérative. Les motifs et les modalités de ces politiques ont été très différents suivant le cas.

Dans les pays insuffisamment développés sur le plan industriel, un réflexe fondamental a joué: celui de l’indépendance économique nationale qui a provoqué la création et le développement de la plus importante des industries de base. Ce fut le modèle assigné aux pays communistes. L’U.R.S.S. sousdéveloppée en 1929, avec une production de 4 millions de tonnes d’acier, mais décidée à faire de la puissance industrielle le fondement de sa puissance et de son expansion politiques a, dès 1929, donné la priorité aux activités de biens d’équipement, donc à la sidérurgie. Le même modèle a été imposé par elle, après la Seconde Guerre mondiale, aux pays socialistes d’Europe centrale. Il s’est également imposé à la Chine communiste, notamment lors du «grand bond en avant» et, plus récemment, avec le plan décennal 1976-1985.

En dehors même des pays communistes, de nombreux pays sous-développés ont ressenti l’obligation d’une certaine autarcie sidérurgique, du fait de l’arrêt des fournitures d’acier pendant la Seconde Guerre mondiale, et de la nécessité de soulager des balances commerciales structurellement déficitaires d’importations d’acier et de biens d’équipement fabriqués avec cet acier (exemples: la Corée du Sud, Taiwan). Des considérations de prestige s’y sont parfois ajoutées, la possession d’une sidérurgie marquant l’accès à la puissance industrielle, ainsi qu’en témoignent l’Égypte, l’Algérie et plusieurs pays d’Amérique du Sud.

Des motivations différentes ont poussé les pays occidentaux à des programmes ambitieux d’expansion sidérurgique. Contraints à un fort développement industriel pour augmenter leur niveau de vie et leurs exportations, ils ont dû fortement accroître leur potentiel sidérurgique, surtout à partir de 1950, afin d’approvisionner leurs industries d’équipement (machines et moyens de transport notamment), d’augmenter directement leurs exportations de produits sidérurgiques et de rééquilibrer leur commerce extérieur par des exportations indirectes d’acier sous forme de machines, d’automobiles, de navires, etc. Telle fut la politique sidérurgique des principaux exportateurs mondiaux: Japon, Allemagne, Belgique, Luxembourg, France.

Dans certains pays industriels, l’expansion sidérurgique a été aussi décidée pour d’autres raisons socio-économiques. Employant un volume important de main-d’œuvre et fournissant des produits de base, l’usine sidérurgique moderne était susceptible de jouer le rôle de pôle de croissance en attirant auprès d’elle des industries de transformation et des industries d’osmose. La sidérurgie pouvait ainsi apporter une contribution importante au rééquilibrage industriel d’un pays, à la résorption des poches de chômage. C’est à ces préoccupations nouvelles qu’ont répondu les créations d’usines, prévues pour une capacité importante d’acier, comme celle de Tarente dans le sud du Mezzogiorno italien, de Fos et de Dunkerque. Par ailleurs, lorsqu’un grand port est condamné à des pertes de trafic, l’implantation d’une usine sidérurgique est un moyen efficace pour éviter la baisse du trafic, à la fois par l’importation de matières premières nécessaires à cette usine et par l’exportation de produits sidérurgiques. La société Usinor, à Dunkerque, est responsable de près du tiers du commerce portuaire; les usines de Brême, de Gand et de Fos ont contribué à freiner la baisse de trafic de ces ports.

Les modalités de ces politiques sont très variées. En économie socialiste à planification impérative et autoritaire, la sidérurgie fut la première industrie prioritaire à laquelle des normes obligatoires ont été assignées: par exemple 24 millions de tonnes pour 1942 en U.R.S.S., 91 pour 1965, 165 pour 1980; 60 pour 1985 en Chine continentale au lieu de 30 en 1979. Pour la réalisation de ces normes, les plans ont prévu la mobilisation de la main-d’œuvre et des investissements nécessaires. Avec des méthodes comparables, les gouvernements d’Europe centrale communiste sont parvenus, de 1950 à 1981, à multiplier par 13,5 leur production d’acier, les uns en augmentant leur potentiel existant, d’autres en créant ex nihilo des sidérurgies modernes.

Les pays capitalistes d’économie semi-libérale accordent une nette priorité au développement de leur sidérurgie, mais dans le cadre d’une planification indicative et révisable, assortie d’objectifs considérés comme souhaitables et non pas impératifs. La réalisation de ces objectifs nécessite des interventions étatiques qui revêtent suivant les pays des formes différentes: prêts à bas taux d’intérêt en France, intervention d’un holding d’État, Finsider, coiffant les plus importantes entreprises sidérurgiques, en Italie. La nationalisation des deux plus grandes entreprises sidérurgiques en France en 1981 a rapproché le cas français du cas italien.

Dans d’autres pays, l’intervention étatique pour créer une sidérurgie a dû être plus précise, afin de permettre la mobilisation des investissements nécessaires et la mise en place de toute l’infrastructure (extraction minière, production d’électricité, réseaux de transport) indispensable à la vie d’une sidérurgie. L’État a donc dû prendre lui-même l’initiative en fondant des entreprises sidérurgiques nationales: ainsi, en Afrique du Sud, dès 1928, l’I.S.C.O.R., créée par un groupement d’État (State’s Industrial Development Corporation), au Brésil, en 1943, la Companhia siderurgica nacional, en Inde, après la Seconde Guerre mondiale, et en marge de la société privée Tata déjà existante, la compagnie d’État Hindoustan Steel, regroupant les nouvelles usines.

Les causes et les signes de la crise de la sidérurgie

Si l’ensemble de ces facteurs explique jusqu’en 1973 la croissance forte et continue de la sidérurgie, qui dépasse le niveau de 700 millions de tonnes d’acier, cette évolution est stoppée durant les années 1975-1985: une régression est amorcée. La sidérurgie, en tant qu’industrie de base, dépend de la consommation d’acier de nombreuses industries de transformation, elles-mêmes très sensibles aux crises économiques; déjà la grande crise de 1929 avait provoqué une chute du tonnage d’acier de 10 p. 100 de 1929 (120,5 millions de tonnes) à 1938 (109,1 millions de tonnes). La grave crise pétrolière ouverte par le premier choc pétrolier de décembre 1973, amplifiée par le second choc pétrolier de 1979-1980, entraîne une chute de la production d’acier provoquée par la mévente aux industries utilisatrices, à commencer par l’industrie automobile, et accrue par la récession de la construction navale, du bâtiment, de presque toutes les industries mécaniques.

De plus, dans un marché mondial de l’acier affaibli, la concurrence est vive entre les producteurs dont les installations sont récentes, automatisées et dotées des techniques à haute productivité, ainsi qu’entre les nouveaux producteurs à bas salaires comme le Brésil, la Corée du Sud ou Taiwan, d’une part, et les vieux pays industriels d’Europe et d’Amérique du Nord, d’autre part, où la sidérurgie est grevée de charges salariales élevées et exploite des équipements en partie anciens, voire vétustes, et dont certains – telle la France – ont de lourdes difficultés d’investissement. Résultat: la crise atteint de plein fouet ces producteurs classiques dès 1974-1975, plus tard seulement les producteurs tels que le Japon, les nouveaux pays sidérurgiques est-asiatiques, voire sud-américains (comme le Brésil).

Les tableaux 1 et 2 montrent l’ampleur de la crise chez les principaux producteurs d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord par la chute de l’emploi, par la baisse de la consommation apparente d’acier par habitant. Au contraire, la régression japonaise est moins forte, et des pays comme la Corée du Sud ou Taiwan se sont contentés d’ajourner provisoirement leurs projets de nouveaux investissements sidérurgiques. Globalement, l’ampleur de la crise est masquée par le maintien d’une certaine progression en U.R.S.S. (de l’ordre de 12 p. 100) de 1973 à 1981, ainsi qu’en Chine continentale. De 708 millions de tonnes en 1974, la production tombe à 670 millions de tonnes en 1976; la sidérurgie du monde libre perd plus de 300 000 emplois du fait des baisses d’activité des établissements maintenus en service et de nombreuses fermetures d’usines, en particulier en Europe et aux États-Unis. La solution provisoire à une telle situation de crise provoqua la fixation de quotas par la C.E.E. (plan Davignon).

Mais, pour résorber la crise, la profession, dans les pays les plus atteints, emploie deux moyens pour survivre. D’abord la concentration des entreprises de manière à intégrer les usines dans de grands ensembles, les plus modernes, soit pour arrêter définitivement les usines obsolètes, soit pour développer la production de masse dans des usines spécialisées dans des types limités de produits en acier. Second moyen, destiné à faire face aux concurrences très vives du Japon et des nouveaux producteurs à bas salaires: moderniser les outils de production et adapter ou généraliser les techniques les plus récentes et les plus performantes, comme la commande automatisée et informatisée, l’expansion de l’aciérie à l’oxygène, de la coulée continue, des laminoirs continus spécialisés et de haut rendement. Cette politique industrielle a pour support un important effort d’investissement neuf, générateur à la fois d’une productivité accrue et d’une qualité améliorée de production.

L’état de la production d’acier

En dépit de cette crise, une reprise de la production d’acier s’est manifestée, en partie du fait que le monde a surmonté dix ans de crise due au problème pétrolier, en partie en raison des nouvelles politiques sidérurgiques; cette production a atteint, en 1989, un niveau mondial inégalé, 863 millions de tonnes. Toutefois, la reprise est lente et géographiquement inégale; la C.E.E. reste en deçà de sa production de 1974, plus encore les États-Unis, naguère premier producteur, tous deux étant largement dépassés par le Japon, et davantage par l’U.R.S.S. Dans le domaine de l’acier, une double redistribution géographique et technologique est capitale: l’avènement de nouveaux très grands producteurs et l’apparition de plusieurs producteurs moyens et de nombreux petits producteurs, la suppression du monopole technique de l’acier au profit de produits de substitution qui le concurrencent (aluminium, certains autres métaux non ferreux, certaines matières plastiques, par exemple).

Un deuxième caractère de la production sidérurgique mondiale est une évolution vers des productions d’acier de meilleure qualité, qui découle à la fois de la substitution de l’acier à l’oxygène à l’acier Thomas ou Bessemer et des exigences croissantes des utilisateurs. En 1950, les principaux producteurs d’acier d’Europe occidentale, l’U.R.S.S., le Japon, utilisaient surtout le procédé Thomas; la proportion d’acier Thomas, de qualité moyenne, atteignait, selon les pays, presque la moitié de la production (en Allemagne: 48 p. 100), voire les neuf dixièmes (Belgique et Luxembourg: 86 p. 100; U.R.S.S.: 90 p. 100). Seuls les États-Unis, en donnant la préférence à l’aciérie Martin, s’étaient engagés dans une production de bonne qualité. Depuis 1960, l’aciérie à l’oxygène remplace l’aciérie Thomas qui a disparu totalement, non seulement aux États-Unis mais au Japon et en Europe occidentale, et ne subsiste, dans une faible proportion, que dans l’ex-U.R.S.S. Variable suivant les pays, la part de l’acier à l’oxygène dans la production nationale d’acier oscille de 48 p. 100 en Italie à 93 p. 100 en Belgique.

Fait symptomatique: les aciers électriques et alliés de haute qualité ont vu leur production augmenter fortement en tonnage et sensiblement en pourcentage. Mis à part les cas de l’ex-U.R.S.S. et de la Chine pour lesquelles on ne dispose pas de données statistiques sûres, leur part dans la production d’acier des quatre plus importants producteurs mondiaux va de 52 p. 100 en Italie à 18 p. 100 en Allemagne (États-Unis 37 p. 100, Japon 30 p. 100), cependant que les gammes de ces aciers se sont élargies (plus de 400 nuances) et leurs qualités améliorées.

2. La répartition mondiale de la production

Les facteurs étudiés ci-dessus expliquent les deux caractères de la répartition de la sidérurgie dans le monde: sa généralisation dans l’espace à partir d’une situation initiale à étroite limitation géographique, le déséquilibre actuel de sa répartition au bénéfice de quatre zones mondiales.

La généralisation mondiale de la sidérurgie

La sidérurgie s’est d’abord développée au XIXe siècle en Grande-Bretagne, initialement seul pays producteur d’acier, puis longtemps premier producteur. L’origine britannique de nombreuses inventions pour la fonte, l’acier et les laminés, les extractions précoces de houille et de minerai de fer, le développement simultané de la métallurgie de transformation et de la mécanique expliquent la prééminence britannique du passé. Ensuite, dans le dernier tiers du XIXe siècle, l’invention du procédé Thomas permettant l’utilisation des minerais de fer phosphoreux, abondants en Europe, mais jusqu’alors inexploités (fonte phosphoreuse), et le développement simultané de puissants gisements houillers en Europe continentale (Ruhr notamment) provoquèrent l’extension de la sidérurgie en Europe du Nord-Ouest et dans le nord-est des États-Unis. Parallèlement, deux conditions du développement sidérurgique s’y réalisaient, la première humaine, grâce à l’expansion démographique naturelle, ou, comme aux États-Unis, par immigration; la seconde financière, l’accumulation de capitaux permettant l’investissement.

Aussi, en 1929, la production d’acier – 120,5 millions de tonnes – était-elle limitée aux États-Unis et à l’Europe du Nord-Ouest, six pays représentaient 87 p. 100 de la production mondiale et vingt autres pays, la plupart européens, chacun avec une production inférieure à 2 millions de tonnes (sauf l’U.R.S.S.), se partageaient les 13 p. 100 restants.

À partir de cette situation, l’industrialisation mondiale, donc la croissance de la demande d’acier, les politiques d’expansion sidérurgique, en particulier dans les pays communistes, le développement des conditions physiques, financières et humaines de cette expansion, l’ont généralisée dans le monde, sous quatre formes et en deux étapes.

En un demi-siècle (1929-1981), l’expansion spatiale a vu:

– l’augmentation notable des anciens producteurs principaux d’acier: les productions des États-Unis et de l’Europe du Nord-Ouest ont été respectivement multipliées par 1,6 et 3;

– l’irruption de deux producteurs modestes de 1929, l’U.R.S.S. et le Japon, au tout premier rang du monde, l’U.R.S.S. ayant en un demi-siècle multiplié sa production par 32 (premier producteur mondial), le Japon par 40 (deuxième producteur mondial);

– le développement modéré en tonnages absolus des petits ou très petits producteurs de 1929: production d’acier augmentée de 11 fois au Canada, 12 en Espagne, 14 en Italie, 17 en Australie, 18 en Inde;

– l’apparition de nouveaux producteurs, pratiquement absents du marché de l’acier en 1929 mais qui, sans avoir une production élevée (en général inférieure à 10 millions de tonnes), sont nombreux: tels, en Europe occidentale, la Norvège, le Danemark, la Finlande, le Portugal; en Europe centrale, la Hongrie, la Bulgarie, la Yougoslavie; l’Afrique du Sud; en Amérique latine, le Brésil – producteur nouveau atteignant 24 millions de tonnes –, le Venezuela, la Colombie, le Pérou, l’Argentine, le Mexique; en Asie, la Corée du Sud, Taiwan, et même des débuts sidérurgiques encore modestes, dans le nord-ouest de Java. Le cas de la Corée du Sud et de Taiwan est surprenant: ces deux pays, dépourvus des deux matières premières essentielles (minerai de fer et charbon à coke), ont décidé de créer des complexes sidérurgiques sur l’eau pour approvisionner en acier leurs industries de transformation et alimenter des exportations de demi-produits sidérurgiques, et ont poursuivi le développement de leur production d’acier en pleine crise pétrolière mondiale. La Corée du Sud ne produisait que moins de 300 000 tonnes d’acier à partir de ferrailles récupérées en 1970; ayant démarré sa production en 1973 à Pohang, puis à Kwangyang avec une deuxième usine, elle produisait plus d’acier que la France (23 millions de tonnes en 1990, huitième production mondiale). Taiwan a démarré son usine sidérurgique en 1978 à Kaoshiung et y produisit, en 1990, 10 millions de tonnes d’acier, tout en envisageant une deuxième usine à Taichung Harbor.

Cette expansion géographique de la production d’acier s’est faite en deux étapes. Jusqu’au milieu du siècle, elle est surtout due à la progression de la sidérurgie soviétique, au développement ou à l’apparition de producteurs dans le Commonwealth (Australie, Inde, Afrique du Sud, Canada) et à un moindre titre en Amérique latine. En trente ans (1950-1980), la seconde étape, beaucoup plus décisive, est marquée par l’irruption japonaise, l’ascension importante et continue de tous les pays communistes: U.R.S.S., Europe centrale, et, plus récemment, Chine. Une soixantaine de pays dans le monde produisent de l’acier, mais la répartition mondiale de la sidérurgie demeure déséquilibrée.

Le déséquilibre de la production

En 1929, on l’a vu, la production d’acier était le quasi-monopole de deux seules zones géographiques: l’Amérique du Nord, surtout les États-Unis (51 p. 100), et cinq pays d’Europe occidentale (36 p. 100). Quelques petits producteurs se partageaient le reste. Les conditions nouvelles analysées plus haut ont supprimé ce monopole en suscitant deux nouvelles zones plus importantes; mais la généralisation mondiale de la sidérurgie s’est heurtée à des difficultés (insuffisance de main-d’œuvre, précarité de l’investissement) qui, jointes à la crise économique mondiale, ont freiné l’expansion de la sidérurgie dans de nombreux pays sous-développés d’Afrique, d’Asie occidentale et d’Amérique latine.

La sidérurgie est maintenant l’apanage de quatre zones mondiales, et non plus de deux comme en 1929; en 1988, elles concentraient 92 p. 100 de la production d’acier (tabl. 3). L’Europe de l’Est était en première position, avec 30 p. 100 de l’acier mondial, surtout du fait des progrès considérables de l’U.R.S.S. (22 p. 100), mais aussi du développement ou de la création d’industries sidérurgiques dans six pays d’Europe centrale, notamment la Pologne et la Tchécoslovaquie. Le deuxième rang a été ravi à l’Europe de l’Ouest par l’expansion sidérurgique en Asie de l’Est et du Sud-Est (28 p. 100); la raison principale est l’énorme développement du Japon, deuxième producteur mondial (14 p. 100), la nouvelle production de Chine continentale, quatrième producteur; de plus, deux pays, Corée du Sud et Inde, sont devenus des producteurs moyens, et les productions sont devenues notables à Taiwan et en Corée du Nord. L’Europe occidentale n’occupait plus que le troisième rang mondial (tabl. 4), dominée par l’Allemagne fédérale, cinquième producteur. Quant à l’Amérique du Nord, sa part dans l’acier mondial était tombée à 14 p. 100 à cause de la réduction de la production des États-Unis (12 p. 100 du monde, contre la moitié en 1929).

Quant au reste du globe, il ne produisait que 8 p. 100 de l’acier mondial: 6 p. 100 en Amérique latine, qui ne compte qu’un producteur moyen, le Brésil, en progrès notable, trois producteurs secondaires (Mexique, Argentine et Venezuela) et six producteurs mineurs (chacun inférieur au million de tonnes); un peu plus de 1 p. 100 en Afrique, où seule compte l’Afrique du Sud, des productions très faibles et stagnantes existant dans cinq autres pays; en Australasie, une seule production notable, celle de l’Australie (un peu moins de 1 p. 100).

3. Le commerce international de l’acier

L’inégalité dans la répartition mondiale de la production d’acier explique d’abord l’existence de marchés excédentaires , producteurs importants qui, une fois satisfaits les besoins nationaux, disposent de surplus exportables, et de marchés déficitaires , non producteurs ou producteurs insuffisants d’acier dans ce système de vases communicants que constitue le commerce international. Les deux principaux marchés d’exportation sont d’abord, et pour un tonnage de l’ordre de 40 à 45 millions de tonnes suivant les années, l’Europe occidentale, surtout les pays de la C.E.C.A. (Allemagne, Belgique et Luxembourg, France, à un moindre titre Grande-Bretagne, Italie et Pays-Bas) et le Japon pour un tonnage annuel de l’ordre de 25 à 30 millions de tonnes. L’ex-U.R.S.S., le Canada, l’Afrique du Sud et l’Australie ne jouent qu’un rôle secondaire sur ces marchés d’exportation.

Les pays importateurs comprennent trois groupes: les États-Unis, premier importateur mondial avec un tonnage de 15 à 20 millions de tonnes, en raison du niveau très élevé de leur consommation d’acier et du coût avantageux de l’acier en Europe de l’Ouest et au Japon; des pays industriels insuffisamment pourvus en sidérurgie ou totalement démunis (certains pays d’Europe centrale approvisionnés en acier par l’ex-U.R.S.S. et par la Pologne, la Suisse pour plus de 1 million de tonnes d’acier, surtout achetées à la C.E.C.A.), enfin un nombre très important de petits importateurs du Tiers Monde, en Asie, en Amérique latine et en Afrique.

Le commerce international de l’acier présente un deuxième caractère qui l’oppose à celui du pétrole, mais l’apparente à celui du charbon, la modestie des tonnages véhiculés par le commerce international, comparé au tonnage produit: de 10 à 12 p. 100. Ce phénomène est la conséquence de la rétention opérée par les pays industriels sur leur propre production sidérurgique pour leurs besoins. Les tonnages exportés par les principaux marchés d’exportation n’excèdent pas le quart de la production pour le Japon, le tiers pour l’Allemagne et représentent moins du cinquième pour l’ex-U.R.S.S.; le Benelux seul fait exception – de la moitié aux deux tiers suivant les années.

Un dernier caractère important du commerce de l’acier est une tendance nouvelle à la mondialisation. Pendant longtemps, le commerce international fut influencé par deux phénomènes majeurs. Le prix, relativement faible ou moyen à la tonne marchande, des lingots et produits laminés d’aciers courants (aciers électriques et spéciaux mis à part) ne leur permettait qu’assez difficilement de supporter les frais de transport sur de longues distances. L’approvisionnement d’un pays déficitaire se faisait donc de préférence à partir d’un fournisseur proche. De plus, l’existence d’une zone de libre-échange sidérurgique en Europe occidentale, C.E.C.A., puis C.E.E. élargie, la création de la zone du Comecon entre l’U.R.S.S. et l’Europe centrale communiste (avec, pour l’acier, l’agence inter-États Intermetall à Budapest) ont fortement renforcé les liens commerciaux entre les pays membres à l’intérieur de chaque zone: le pourcentage d’achat d’acier aux partenaires de la C.E.E. est de 60 p. 100 en Allemagne, de 65 p. 100 en Belgique-Luxembourg, de 75 p. 100 en France.

Sur le plan mondial, et au début de la décennie de 1960, les deux tiers du tonnage d’acier véhiculé par le commerce international consistaient en courants à l’intérieur des zones européennes, est-asiatique et américaine. Depuis lors, le développement de la sidérurgie japonaise et celui de sidérurgies, certes moins considérables, mais notables, en Inde, en Afrique du Sud, en Corée du Sud, au Brésil, à proximité de vastes régions sous-développées, ont conduit ces pays à écouler leurs surplus d’acier bien en dehors de ces zones, jusqu’en Amérique du Nord et en Europe. En outre, depuis 1974, la crise a contraint les grandes sidérurgies d’Europe à élargir leur clientèle à l’Amérique et, d’une manière plus générale, à l’ensemble du monde. La libéralisation progressive des échanges a joué dans le même sens. Enfin, la transformation des techniques maritimes et l’abaissement des taux de fret maritime ont facilité l’expansion des transports transocéaniques d’acier: le coût du transport maritime entre Rotterdam et Houston est inférieur à celui du transport par fer de Rotterdam à Duisbourg.

Dès lors, premier importateur d’acier du monde, les États-Unis recevaient en 1987 seulement 17 p. 100 de leurs achats de produits sidérurgiques de l’espace américain (du Canada surtout, plus accessoirement du Brésil), mais 45 p. 100 d’Europe (39 p. 100 de la C.E.C.A.), 31 p. 100 d’Asie orientale (25 p. 100 du Japon, mais aussi de Corée du Sud et même de Taiwan) et 6 p. 100 d’Afrique du Sud. Premier exportateur mondial, le Japon, s’il vendait à l’Asie deux tiers de ses exportations, en écoulait 24 p. 100 sur le continent américain (16 p. 100 pour les États-Unis) et 8 p. 100 sur l’Europe.

Les trois courants intrazonaux du commerce international de l’acier n’absorbent plus qu’une petite moitié du tonnage d’acier; ils demeurent dominés par les courants intra-européens, à l’intérieur de l’Europe de l’Ouest, surtout de la C.E.C.A., comme à l’intérieur de l’ex-bloc soviétique. À l’intérieur de la C.E.C.A., des courants croisés conduisent à des échanges réciproques de différents types et qualités de produits sidérurgiques, au point que les principaux exportateurs sont également importateurs: Allemagne, Benelux, France, Italie, avec des balances positives dans leur commerce d’acier.

Les deuxièmes courants intrazonaux, dans l’espace est-asiatique, sont surtout issus du Japon qui approvisionne les pays riverains du Pacifique, de la province maritime soviétique à la Malaisie, la Chine, la Corée du Sud et Taiwan. La position désormais importatrice nette des États-Unis explique la faiblesse des courants intérieurs au continent américain où les seuls exportateurs notables sont le Canada, le Brésil et le Mexique.

Les courants transocéaniques assurent un peu plus de la moitié du commerce mondial de l’acier: les uns transatlantiques à partir de l’Europe occidentale, essentiellement des pays exportateurs de la C.E.C.A., à destination de l’Amérique, surtout des États-Unis, les autres transpacifiques, du Japon vers l’Amérique avec les États-Unis pour principal client.

4. La localisation des établissements sidérurgiques

La localisation des établissements sidérurgiques pose un problème d’autant plus actuel que ses conditions ont évolué depuis le milieu du XXe siècle. Initialement, la sidérurgie produisait des aciers courants et était quasi impérativement liée à ses matières premières de base, charbon à coke et minerai de fer. Ce lien géographique tenait au poids des matières utilisées et à la modestie de leurs prix; le souci d’économiser des coûts de transport a été primordial dans le choix des sites d’usines.

La localisation idéale donnait la préférence aux régions détenant à la fois des réserves de charbon et des ressources en minerai de fer. Ainsi s’explique l’essor précoce de la sidérurgie britannique, notamment dans les Midlands, où les couches de charbon comportaient des veines de minerai de fer carbonaté, interstratifiées dans la houille. La proximité de gîtes de fer et de gisements de houille avait entraîné l’implantation d’usines sur plusieurs petits bassins houillers du Massif central en France. Le même facteur explique le maintien d’une sidérurgie dans l’Alabama, aux États-Unis.

Lorsque cette réunion, ou cette proximité, des deux matières premières essentielles ne jouait pas – ce qui fut fréquent –, l’usine sidérurgique avait théoriquement avantage, toujours pour économiser les frais de transport, à s’établir près du gisement de minerai de fer. Ce fut le contraire qui se produisit au XIXe siècle et dans le premier tiers du XXe. Il y eut, en effet, souvent antériorité des découvertes de charbon par rapport à celles de minerai de fer, et la présence du charbon suscita la création, puis le développement de complexes industriels avec industries métallurgiques et chimiques, d’infrastructures de transport par voies navigables et par voies ferrées, et cristallisa sur ces complexes une abondante main-d’œuvre. Il était donc normal que le bassin houiller attirât la sidérurgie sur ces foyers industriels. D’autre part, bien des gisements de fer, découverts au XIXe siècle en Lorraine, dans la plaine anglaise, en Allemagne, en Suède centrale, dans la région du lac Supérieur aux États-Unis, en Ukraine, ne purent être immédiatement utilisés, du fait de leur teneur en phosphore. Il a fallu attendre l’application du procédé ThomasGilchrist, découvert en 1877, dans les vingt dernières années du XIXe siècle pour que ces réserves importantes fussent exploitées. Mais la sidérurgie était déjà fixée sur les bassins houillers.

Cependant, l’intérêt d’une implantation sur la mine de fer guida le choix d’un certain nombre de sidérurgies nouvelles pour un minerai à basse teneur. Il est, en effet, antiéconomique de transporter, souvent par voie ferrée, un produit dont les deux tiers et parfois les trois quarts sont composés de matière inerte passant au laitier. De là, des implantations d’usines sur le gisement lorrain et luxembourgeois, sur ceux de la plaine anglaise, à Salzgitter en Allemagne.

La servitude de localisation sur le charbon ou le minerai de fer est étrangère à la sidérurgie électrique qui n’emploie ni l’un ni l’autre, mais utilise des ferrailles et l’électricité. C’est l’attraction de l’hydroélectricité qui fut pour elle le facteur dominant de la localisation. Ce type d’aciérie avait intérêt à s’installer sur des chutes équipées dont le courant a été de prix très bas pendant longtemps. Les usines situées à proximité de centrales hydroélectriques supportaient aisément la double servitude des régions montagneuses productrices d’hydroélectricité: celle des transports, car le coût notable des ferrailles et les prix très élevés des aciers électriques et alliés leur permettent de supporter des frais de transport ferroviaire; celle de la main-d’œuvre, peu nombreuse et en voie de diminution dans les montagnes, car ce type d’usine se limite à l’aciérie électrique et à la première transformation; produisant des tonnages modestes d’aciers de très haute qualité, elle exige un effectif bien moindre que la grande sidérurgie courante totalement intégrée (une grande aciérie électrique emploie de 2 000 à 3 000 personnes).

Depuis le milieu du XXe siècle, ces trois lois traditionnelles de la localisation sidérurgique semblent être dépassées par l’avènement de la sidérurgie littorale sur les grands ports maritimes.

En fait, les débuts de la sidérurgie littorale ne datent pas des années 1950-1960. Une telle implantation s’était déjà imposée à des pays producteurs d’acier, mais dépourvus de ressources en charbon et en fer, pour lesquels le port d’importation tenait lieu de mines: ainsi en Italie, aux Pays-Bas et au Japon. Elle avait été également adoptée dans quelques autres pays, détenant des sidérurgies intérieures, non pas seulement parce qu’elle utilisait du minerai importé de meilleure qualité, mais aussi parce que l’usine littorale était proche d’une métallurgie portuaire déjà développée qui devenait ses clientes: construction et réparation navales, fabrication d’engins de service portuaire, industries mécaniques, usines de production de boîtes de conserves en fer-blanc. Ainsi en France, usine des Dunes, près de Dunkerque, celles d’Hennebont et du Boucau.

Le fort développement de la sidérurgie littorale depuis 1950-1960 s’explique par une modification importante des courants d’approvisionnement. L’essor considérable de la sidérurgie mondiale, dont le potentiel de production a plus que quadruplé en trente ans, impose des fournitures accrues de charbons à coke et de minerais de fer. Les anciennes mines, exploitées depuis des décennies, ne peuvent plus y faire face; des contingents accrus de minerais et de charbon ou de coke doivent être importés, souvent par mer. La raison essentielle de la tendance au déplacement des centres de gravité sidérurgiques de l’intérieur vers les côtes réside dans l’expansion des extractions de minerai de fer riche d’outre-mer, dans les avantages techniques et financiers que l’enfournement de ce minerai présente, et dans les possibilités accrues d’approvisionnement par minéraliers de fort tonnage.

Qu’il y ait déplacement du centre de gravité sidérurgique au profit des rivages maritimes par la construction de grandes usines plus rentables, cela s’explique: en revanche le remplacement rapide des sidérurgies intérieures par des sidérurgies littorales est improbable pour deux raisons. Tout d’abord les usines littorales impliquent la proximité ou le voisinage immédiat d’un port en eau très profonde et la disposition d’espaces libres de plusieurs centaines d’hectares; or de tels ports sont encore peu nombreux et le relief s’oppose parfois à l’implantation de vastes usines, à moins de charger l’investissement sidérurgique de dépenses considérables d’infrastructure. Des préoccupations d’ordre social et régional s’opposent souvent à la fermeture d’usines intérieures qui accroîtrait le chômage et contribuerait au dépérissement de nombreuses régions. Ce sont donc des augmentations de potentiel sidérurgique par la création d’usines littorales supplémentaires, et non de remplacement, qui peuvent être envisagées ou décidées; encore faut-il qu’elles répondent aux besoins de marchés en expansion, ce qui n’était pas le cas dans les années 1975-1985, alors que d’importantes capacités de production étaient inemployées. Le poids du passé maintient donc beaucoup d’anciennes localisations intérieures.

La localisation des usines sidérurgiques sur le charbon demeure prépondérante. Elle assure environ les deux cinquièmes de la production mondiale d’acier, qu’il s’agisse de l’Europe (Ruhr, bassins houillers anglais et franco-belge, Silésie polonaise et tchécoslovaque), des États-Unis (zone de Pittsburgh et Alabama), de l’ex-U.R.S.S. (Donbass et Kouzbass), de la Chine («Ruhr asiatique», à Anshan). On peut y joindre la sidérurgie des Grands Lacs américains, proche des bassins houillers du nord des Appalaches et de l’Ohio, approvisionnée en minerai de fer par les Grands Lacs et le Saint-Laurent.

La localisation littorale vient en seconde position, avec environ le tiers de l’acier mondial, du fait des augmentations de capacité considérables au Japon sur les «polders industriels» et notables en Italie. Depuis les années 1950 se sont développées des usines littorales en Europe du Nord-Ouest (Brême, Velzen, Gand, Dunkerque, Fos), en Espagne, sur la côte nord-orientale des États-Unis, au sud de New York, et même en Corée du Sud (Pohang) et à Taiwan (Kaoshiung).

Les implantations sur le minerai de fer et l’hydroélectricité se partagent le quart restant de l’acier mondial. Pour le minerai de fer, on peut citer la Lorraine, Krivoï-Rog en Ukraine, la région de Duluth aux États-Unis, ainsi que des foyers plus dispersés comme Salzgitter en Allemagne, Magnitogorsk dans le sud de l’Oural, Wuhan en Chine. Quant à l’aciérie électrique, sa solidarité géographique avec l’hydroélectricité est illustrée par les vallées alpines en France, en Italie et en Autriche, par plusieurs usines norvégiennes et suédoises, par Zaporojié en Ukraine, par l’aciérie de la presqu’île ontarienne au Canada.

5. La structure concentrée des entreprises

La sidérurgie est, après le secteur prétrolier, l’une des branches industrielles les plus fortement concentrées. En dehors des pays communistes, on comptait dans le monde vingt-sept groupes sidérurgiques ayant, en 1987, un chiffre d’affaires supérieur à 15 milliards de francs, dont vingt-deux en Europe occidentale, au Japon et aux États-Unis. Leur chiffre d’affaires consolidé atteignait 970 milliards de francs et leur effectif global dépassait le million de personnes.

Les raisons de la structure concentrée

L’obligation de la concentration technique en grands établissements de production est une première cause de la concentration de la structure. L’usine sidérurgique constitue un ensemble intégré qui peut regrouper en un même ensemble trois types d’installations: d’abord les départements ou «divisions» purement sidérurgiques, liés les uns aux autres par une étroite solidarité technique (agglomération des fines de minerai et hauts fourneaux, aciérie, première transformation de l’acier, si l’usine est totalement intégrée, avec plusieurs ateliers de laminage, une forge, une fonderie, au total neuf usines au maximum), ensuite des activités non sidérurgiques mais souvent associées dans le même ensemble (cokerie, centrale thermoélectrique) parce que leurs fournitures sont indispensables à la sidérurgie; enfin des ateliers annexes, valorisant les sous-produits, mais plus rarement intégrés dans le même ensemble industriel: cimenterie, atelier de granulation du laitier, préparation des engrais à partir des scories de déphosphoration d’aciérie. À la limite, le complexe sidérurgique peut inclure une quinzaine d’usines différentes, chacune avec des équipements différents dont le coût d’investissement unitaire est élevé.

Par ailleurs, l’optimum de capacité, condition de la rentabilité de l’industrie, n’a cessé d’augmenter, atteignant maintenant de 8 à 10 millions de tonnes d’acier. Le poids de l’investissement devient si important que seule une très grande entreprise a la possibilité de le mobiliser. L’une des raisons qui ont poussé à la création, par fusion ou par association, d’Usinor dès 1948 et de Sollac, dès 1951, a été l’obligation de s’unir pour pouvoir investir dans des trains de laminage continu à chaud et à froid.

Un secteur sidérurgique échappe toutefois à cet impératif: l’aciérie électrique. Une telle usine est en effet moins complexe, comprenant uniquement la division aciérie et celle de première transformation et l’investissement est donc beaucoup moins élevé. Les aciéries électriques ne visent pas à la production de grande masse mais à celle de haute qualité et certaines se sont spécialisées dans des nuances très particulières d’acier (Gueugnon et Imphy, par exemple, en France), dont les tonnages sont limités. Dans ce cas, l’existence d’installations moyennes, voire petites, est compatible avec l’impératif de rentabilité.

Indépendamment des aspects techniques pour les aciers courants, un deuxième facteur est fondé sur l’intérêt de la concentration horizontale et de la concentration verticale. Qu’il provienne d’augmentation de capacité d’une société par la construction de nouvelles usines, ou de fusion ou d’absorption de sociétés, le groupement horizontal de plusieurs usines sidérurgiques au sein d’un même ensemble présente un double avantage: il permet de concentrer la production sur les usines les plus productives, donc les plus rentables, et de spécialiser les usines dans un type de production donné, afin d’obtenir une production de masse, et de faire fonctionner au mieux de leur capacité des équipements coûteux. Ainsi la fusion De Wendel-Sidelor-Mosellane de sidérurgie en Lorraine et la mise en service de l’usine de Gandrange ont apporté ces avantages au nouveau groupe, Sacilor, provenant de cette fusion en 1973.

L’intérêt de la concentration verticale est d’ordre commercial et financier. Le regroupement au sein d’un ensemble sidérurgique d’activités minières et d’industries métallurgiques de transformation donne à la société mère la sécurité de l’approvisionnement au moindre coût, pour ses deux matières premières principales, et elle lui offre des facilités d’écoulement de ses produits dans les filiales de métallurgies de transformation. Sur le plan financier, ce groupement permet de compenser les pertes d’un secteur industriel par les gains d’un autre. Dans certains pays, des législations fiscales exemptent ou exemptaient d’impôt les ventes à l’intérieur d’un groupe dont la société mère détient de 50 à 75 p. 100 de ses filiales. Ce fut, jusqu’à l’adoption de la T.V.A., une incitation à la concentration verticale de la sidérurgie allemande.

L’âpreté de la concurrence internationale constitue un troisième facteur de concentration. La mise en œuvre du Marché commun de l’acier dans le cadre de la C.E.C.A. en 1953 a été précédée ou immédiatement suivie d’une vague de concentrations en France, en Belgique et en Allemagne fédérale. Dès 1950, en France, les deux sociétés De Wendel fusionnent; d’autres fusions créent Sidelor, Lorraine-Escaut, la Compagnie des ateliers et forges de la Loire; plus tard se crée le nouveau groupe Ougrée-Cockerill dans la région de Liège. Ce n’était qu’un début dans l’évolution vers des groupements de plus en plus vastes imposés, non seulement par le marché libre de la C.E.C.A., mais aussi par la concurrence nouvelle de pays tiers, surtout du Japon.

Dans les pays capitalistes, l’intervention de l’État, sous des formes variées a été également décisive. Tantôt très indirecte, elle fut dirigée par la Banque d’État par l’intermédiaire de grandes banques privées contrôlant des sociétés sidérurgiques comme au Japon; tantôt la pression de l’État s’exerça d’une manière plus ouverte, l’État faisant d’un effort de concentration des entreprises l’une des conditions de l’octroi de son appui financier à la sidérurgie: ainsi, en France, en 1966, puis en 1977-1978; tantôt enfin, l’intervention directe de l’État a pris la forme d’une nationalisation: la British Steel Corporation par exemple en Grande-Bretagne; Usinor et Sacilor en France; en Italie, l’Institut de reconstruction industrielle créa un holding d’État, Finsider, regroupant les neuf dixièmes de la production de fonte et les deux cinquièmes de celle d’acier.

Les types de concentration

En dehors de la sidérurgie électrique et de petites entreprises spécialisées dans la première transformation de l’acier, la concentration économico-financière domine dans le secteur sidérurgique. Elle fut totale dans les pays communistes où la nationalisation concerna toute la branche et où les créations postérieures furent uniquement décidées et financées par l’État, toutes les entreprises sidérurgiques en U.R.S.S. étant dirigées par un vice-ministre de la Sidérurgie, dépendant du ministre de l’Industrie lourde, et en Tchécoslovaquie, par le directeur de la branche sidérurgie, dépendant du ministre de l’Industrie. Moins totale, mais désormais très poussée dans les pays occidentaux, la concentration y revêt deux formes: concentration horizontale et concentration globale.

La concentration surtout horizontale en sociétés importantes, mais en général peu intégrées verticalement, sauf en amont avec le charbon ou le minerai de fer, domine aux États-Unis et dans les sidérurgies ouest-européennes (Allemagne exclue). Aux États-Unis, six très grandes sociétés assurent les trois quarts de la prodution d’acier. La plus importante d’entre elles est l’U.S. Steel, avec 45 milliards de francs de chiffre d’affaires et 48 000 emplois en 1988. En Italie, le holding Finsider contrôle notamment Italsider, dix-septième société sidérurgique mondiale. En France, trois sociétés seulement, provenant de plusieurs vagues de fusions, étaient responsables des trois quarts de la production d’acier: Usinor, Sacilor et, pour les aciers spéciaux, Creusot-Loire; depuis la nationalisation de 1981 et les interventions étatiques qui l’ont suivie, la sidérurgie française est coiffée à partir de 1987 par le groupe Usinor-Sacilor, troisième groupe sidérurgique mondial après Nippon Steel et Thyssen (chiffre d’affaires de 67 milliards de francs en 1988, effectif de 56 000 personnes). La British Steel, septième société mondiale, produit plus des neuf dixièmes de l’acier britannique; la V.O.E.S.T., plus de la moitié de l’acier autrichien. Dans le Benelux, Arbed (luxembourgeois), Cockerill-Sambre (belge) et Hoogovens (néerlandais) occupent également une place importante.

L’Allemagne et le Japon fournissent des exemples d’une totale concentration. Globale, elle inclut la concentration horizontale avec plusieurs établissements sidérurgiques de potentiel élevé, et la concentration verticale en amont et en aval; la société mère sidérurgique contrôle des industries métallurgiques de transformation, comme des chantiers navals à Hambourg détenus à 50 p. 100 par Thyssen, les camions Büssing à Brunswick et des chantiers navals à Hambourg et Kiel, totalement contrôlés par Salzgitter Hüttenwerke. Cinq grandes sociétés allemandes – dont Thyssen, Krupp et Mannesmann – assurent plus des trois quarts de la production d’acier en Allemagne.

La sidérurgie japonaise est dominée par huit grands groupes: la fusion en 1968 de Yawata et de Fuji Iron and Steel a fait de Nippon Steel la première société sidérurgique mondiale devant Thyssen, avec 97 milliards de francs de chiffre d’affaires et 69 000 emplois (1988).

Encyclopédie Universelle. 2012.

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